En écoutant le monde gémir et craquer, les glaciers fondre et disparaître les uns après les autres, à l’heure où les grands arbres des forêts brûlent un peu partout, où les tempêtes se succèdent, où les bateaux sombrent avec des centaines de migrants en détresse, fuyant guerres et misères impitoyables, à l’heure où l’Église, elle aussi, fait l’expérience d’une rupture générationnelle inédite et de scandales à répétition, nous entendons ce 31ème dimanche l’emportement des prophètes à l’égard de certains chefs religieux, déjà en leur temps : « Vous vous êtes écartés de la route, vous avez détruit mon alliance… j’enverrai sur vous la malédiction, déclare le Seigneur » (Livre de Malachie).
Cela fait penser à Jésus s’opposant aux scribes et aux pharisiens dans l’évangile de ce 31ème dimanche du temps ordinaire : « … ils disent et ne font pas ». « Ne vous faites pas appeler Père, car vous avez un seul Père et c’est Dieu »… et pourtant bien des personnes me saluent en disant « mon Père ». Je ne sais pas pourquoi la tradition de l’Eglise a véhiculé ces habitudes, c’est ainsi. Ce qui importe, ce n’est pas la façon d’appeler telle personne, mais les vraies raisons ; il faut se méfier du titre que l’on reçoit ou que l’on donne. Jésus nous en indique la raison fondamentale : le risque de s’estimer comme à l’extérieur du message que l’on annonce. Dire et ne pas faire ce que l’on dit.
Jésus, qui connaît le cœur des hommes, sait bien qu’il y a en chacun d’eux cette tendance et ce péché. Pourquoi est-ce donc grave ? Parce que cela pourrait laisser penser que les prêtres, les enseignants, les catéchistes sont au-dessus de la Loi de Dieu, comme s’ils en étaient dispensés. Ils réduiraient la Parole, nous réduirions l’Évangile à n’être qu’un message culturel à donner aux autres puisque nous-mêmes nous le connaissons. C’est comme une leçon d’histoire en somme.
C’est grave aussi parce que nous avons besoin comme tout un chacun de percevoir les exigences de la conversion spirituelle. Ce n’est pas évident, ni spontané de pratiquer l’Évangile. Si je fais comme si c’est facile en énonçant quelques règles abstraites, je ne prends pas au sérieux le désir de l’autre de se convertir, je ne lui donne pas les moyens de grandir, de changer, je lui fais porter un fardeau trop lourd. Jésus Christ, en dénonçant cette solution de facilité et cette hypocrisie, nous demande de respecter trois règles du jeu. Sinon notre propre évangélisation ne sera pas l’œuvre de l’Esprit
- N’enseigne rien que tu n’aies toi-même éprouvé. N’oublie pas tes propres difficultés quand tu conseilles quelqu’un. Reçois l’Évangile pour toi d’abord, vis-le, essaye de le vivre et tu sauras mieux trouver la parole juste pour l’autre. Elle sonnera plus juste car l’Évangile aura percé l’épaisseur de ta propre humanité.
- Deuxième règle : « Vous n’avez qu’un seul Maître, le Christ » : Le deuxième critère de la vérité de ce que nous disons et vivons, c’est l’exemple du Christ, la personne même du Christ : Il nous donne l’Évangile pour que nous puissions accueillir, « épouser » sa Parole. Comme l’eau « épouse » l’éponge. Pardonnez cette image un peu triviale, mais notre vie est comme une éponge sèche, asséchée et la Parole de Dieu est cette Eau vive donnée pour nous imbiber. La Parole de Dieu n’est pas une parole cérébrale, elle n’est pas extérieure à nous, elle nous pénètre, elle agit en nous, elle nous influence : elle effectue tout un parcours en nous : On la reçoit avec notre intelligence, elle descend ensuite dans le cœur pour être aimée, priée, mémorisée et elle va jusque dans nos mains pour devenir un acte. Elle nous fait penser, regarder, évaluer, aimer autrement parce qu’elle est pour nous la parole du Maître et du Serviteur. Saint Paul nous l’a rappelé : « Quand vous avez reçu de notre bouche la parole de Dieu, vous l’avez accueillie pour ce qu’elle est réellement : non pas une parole d’hommes, mais la Parole de Dieu qui est à l’œuvre en vous les croyants ».
- … « Une parole de Dieu à l’œuvre en nous… » une Parole qui vient de Dieu et qui nous rend juste parce que Dieu est juste. Une Parole qui nous empêche de faire ce grand écart intolérable et hypocrite entre notre comportement et notre parole. Bien des paroles d’Évangile sont réduites à des paroles de morale ou à des valeurs : la paix, la tolérance… Accueillie dans la foi, la Parole porte en elle sa douceur et sa propre efficacité. Elle a donné aux Thessaloniciens de mener une existence ajustée à la nouveauté du Christ. Et cela suffit pour susciter chez saint Paul l’action de grâce, non pour les féliciter, mais pour se tourner avec eux vers Dieu, tous disciples d’un même maître qui s’est fait lui-même serviteur jusqu’au don total.
Ce passage d’Évangile nous conduit à la contemplation du Christ Lui-même. Le serviteur des serviteurs révèle une cohérence parfaite entre ce qu’il dit et ce qu’il fait. Il est le Chemin et la Vérité et, en cela Christ est notre maître et notre seul maître. Parole de Dieu, Verbe fait chair, il nous apprend le chemin de son Père. Il nous révèle son visage pour que peu à peu nous devenions des témoins vivants de ce que Dieu fait dans le monde, en nous et autour de nous. Être témoins du Christ ressuscité, c’est accueillir sa Parole et accorder sans cesse nos actes à cette Parole. AMEN.
Père Jean-Claude Duclos