Le passage de l’Évangile de saint Marc que nous venons d’entendre, nous fait entrer dans l’intimité des douze apôtres. Jésus qui, en pédagogue particulièrement avisé, ne laisse passer aucune occasion d’instruire et de former ses apôtres ; Il s’efforce, durant cet halte à Capharnaüm, de les faire progresser en partant d’une discussion fort animée qu’ils ont eue tout à l’heure, chemin faisant. Alors que Jésus leur annonce le chemin du serviteur : « Si  quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous ». Telle est, en effet, la place que Jésus Lui-même       a voulu prendre. Ce chemin sera un chemin de souffrance, passant par la mort et la résurrection. De toute évidence, les disciples ne comprennent pas.

Nous aurions tort d’accabler Pierre, Jacques, Jean et les autres, décidément bien ordinaires. Nous ferions mieux de débusquer, dans les replis secrets de notre personnalité et dans nos réactions quotidiennes, la soif de pouvoir qui nous habite, peut-être à notre insu. Dans nos responsabilités, en famille et même dans nos églises, nous pouvons nous comporter en tyrans ou petits chefs, il nous arrive d’imposer notre point de vue et de nous complaire au-dessus des autres. L’apôtre Jacques condamne « jalousie et rivalités » et propose aux chrétiens de s’inscrire dans une autre logique faite de « paix, tolérance et compréhension ».

Pour bien faire comprendre sa pensée, Jésus, prenant un enfant, le place au milieu du groupe, le serre dans ses bras et l’embrasse – Pour nous, ce geste n’a rien d’étonnant, mais il l’était pour les apôtres car à cette époque-là, en Orient, l’enfant ne tenait pas dans la société la place qu’il tient aujourd’hui : il ne jouissait d’aucune considération, on ne s’intéressait pas à lui et on le repoussait même sans le moindre ménagement – et Jésus déclare : « Celui qui accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ne m’accueille pas moi, mais Celui qui m’a  envoyé. » Et voilà encore un coup-de-poing à l’estomac que, manifestement les chrétiens n’ont pas encore encaissé !

Les disciples ont dû être sérieusement bousculés. En mettant un enfant au milieu des disciples, Jésus proclame de la manière la plus claire possible qu’il ne rejette pas les plus faibles, les plus marginalisés par la société et la religion. C’était un vrai coup de tonnerre. Mais Jésus va beaucoup plus loin. Il s’identifie à cet enfant, symbole de tous les exclus, tout comme il s’identifiera aux affamés, aux étrangers, à tous les démunis. Il sera d’ailleurs traité comme un hors-la-loi que l’on crucifiera entre deux brigands.

C’est là la mission de salut que le Père lui a confiée : briser toutes les exclusions, redonner leur dignité aux plus pauvres, aux plus méprisés parmi les hommes. Mais cela ne suffit pas encore ! Jésus, ayant fait l’équivalence entre l’enfant et Lui, poursuit : « Celui qui m’accueille, ne m’accueille pas moi, mais Celui qui m’a envoyé ». C’est le Père Lui-même qui s’identifie aux plus pauvres et aux plus faibles.

Le service est donc une manière nouvelle de « prendre le pouvoir » et d’exercer l’autorité. Le service ? C’est de regarder l’autre, de se tourner vers les autres, non vers soi, d’aider, de se donner pour les autres allant jusqu’à leur laver les pieds comme le fera Jésus le soir du Jeudi Saint. Jésus nous présente l’enfant comme si c’était Lui-même. L’enfant est ici l’image de Jésus, le parfait Serviteur. Lorsque l’on sert les autres, c’est Jésus Lui-même qu’on sert.

Cet enseignement de Jésus est au cœur de l’Évangile. En effet, si Jésus est dans l’Eucharistie, dans la Parole proclamée, dans les Sacrements avec efficacité, il l’est tout autant et il l’est réellement dans mon frère, dans ma sœur. AMEN.

Père Jean-Claude DUCLOS