Frères et sœurs, chers amis, comme s’il ne fallait pas s’encombrer de détails, comme si l’essentiel du Carême n’était pas dans l’introspection, saint Marc ne décrit pas les tentations du Christ « Tenté par Satan » ; on n’en saura pas davantage. Pour saint Marc, l’important semble plutôt dans le lien entre trois événements qui s’enchaînent à toute vitesse : « Jésus est baptisé, il est poussé par l’Esprit au désert, il part annoncer l’évangile » : passage étroit, mais nécessaire, comme un col de l’utérus pour conduire à l’enfantement, un passage étroit par le désert.

                 L’accoucheur, c’est l’Esprit Saint. Descendu sur Jésus comme une colombe, il n’est pas sur Lui pour se reposer : il « pousse » Jésus au désert. On pourrait traduire ; « L’Esprit jette Jésus dehors ». Non pas que le Fils de Dieu ait eu besoin d’être poussé pour se décider à combattre le Mal, mais il se laisse jeter dehors par l’Esprit Saint, comme de toute éternité, l’Esprit le jette dans les bras du Père. C’est un mouvement d’amour dont nous sommes ici les témoins ! Un mouvement par lequel l’amour qui jette le Fils vers le Père de toute éternité. le jette désormais dans le combat de la vie humaine, avec toujours autant d’amour ; et cet amour en plein désert, qui fait déjà fleurir le royaume de Dieu comme l’engendrement du monde nouveau.

                   Par conséquent, pour nous aussi, ce Carême est un temps pour laisser l’Esprit Saint nous jeter dans les bras du Père et dans la réalité du monde : un double mouvement d’amour, jamais l’un sans l’autre. Pour que dans la moindre de nos activités humaines quotidiennes, nous saisissions combien l’Esprit Saint, de par notre baptême, nous conduit. Il ne guide pas du bout des doigts, mais il nous jette dans le réel avec ses déserts et ses combats, après nous avoir jeté dans les bras du Père éternel. Et plus nous laissons l’Esprit nous jeter comme Jésus dans les bras du Père, plus nous désirons nous jeter dans les misères du monde pour y porter Dieu !

                   C’est en étant « jeté dehors » que Jésus commence l’enfantement du monde nouveau, c’est aussi en laissant l’Esprit Saint nous jeter dehors que nous vivrons un Carême fécond. Qu’est-ce que ça peut vouloir dire, pour nous, que l’Esprit nous jette dehors ? Que devons-nous quitter pour aller dehors ? Une habitude, une relation, une mauvaise conception de Dieu, une culpabilité ? Que devons-nous quitter pour aller au désert, afin que ce Carême nous enfante davantage au monde nouveau qui surgira au matin de Pâques ?

                    Une fois jeté dans le désert par l’Esprit, voilà ce que Jésus y vit : « il resta 40 jours, tenté par Satan ». L’accent est mis dans ce temps passé au désert, 40 jours à « rester » ! Comme s’il fallait vivre ce temps du Carême comme un temps pour combattre sans doute, mais surtout pour « rester avec le Christ », ou plus exactement pour laisser l’Esprit jeter le Christ dans notre vie intérieure pour qu’il y reste. 40 jours pour nous désencombrer, comme un désert, afin que dans notre vie intérieure Jésus puisse vraiment rester. En notre vie intérieure, il y a bien quelques bêtes sauvages, mais aussi des anges qui servent et adorent. Et c’est là que Jésus vient rester pour nous faire résister aux tentations.

                    Laissons le Christ rester en nous comme il est resté 40 jours au désert, laissons-le « rester » : nous avons besoin de cette permanence du Christ en nous, sans quoi notre existence n’est qu’un désert fait de grains de sable éparpillés, des parcelles de vie qui ne parviennent pas à s’unifier pour donner du sens. Il faut qu’il « reste » sur le sable mouvant de nos sentiments. Il faut qu’il « se pose » sur les dunes de nos vies s’envolant si facilement au gré des événements.

                    Si le Christ demeure ainsi en notre désert, il apprivoisera par sa présence toutes nos bêtes sauvages intérieures, il permettra aux anges de trouver leur place en nos corps, en nos âmes et en nos esprits, il rendra les tentations du démon presque insignifiantes. L’essentiel, c’est qu’il est là, le Sauveur, et qu’il « reste ». C’est promis, il est là pour rester ! Qu’il reste pour proclamer ce qu’il annonce en sortant du désert : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissezvous ». « Reste avec nous, Seigneur ! ». AMEN.

Père Jean-Claude DUCLOS